CARNET DE VOYAGE
Régulièrement, je me pose dans un train, observe, écoute et écris ce que je vois et j’entends. Peut-être serez-vous un jour dans l’un de mes récits ? Avec eux, je souhaite vous emmener ou plutôt nous ramener à l’époque où les téléphones portables n’accaparaient pas notre esprit, notre temps et nos relations et où rencontrer des gens et partager des instants avec des inconnu.e.s faisait partie du quotidien. Bonne lecture !
Balancée doucement de gauche à droite, je laisse aller ma tête contre la vitre et mes pensées aller et venir. Seuls les cliquetis des boîtes et outils de maquillage de ma voisine, une jeune fille d’une vingtaine d’années, perturbent le silence qui règne dans le wagon. Une Masterclass de première classe se déroule face à moi. Palettes colorées, miroir décoré, pinceaux, cotons-tiges, mouchoirs, Red Bull et peau de banane trônent sur la petite table qui nous sépare. Elle y a étalé une partie de ses biens, bien rangés et ne dépassant pas d’un cheveu la limite virtuelle imposée par le savoir-être des voyageurs. La demoiselle s’applique, un geste après l’autre, un produit après l’autre, dans une chorégraphie bien rodée.
Un sifflement se fait entendre, continu, désagréable, ne suivant pas les mouvements incessants du train. Il me titille les oreilles, m’agace même mais ne semble perturber que moi. La demoiselle, quant à elle, cherche des affaires et s’affaire entre ses nombreux sacs et habits, tandis qu’à ma gauche les téléphones portables accaparent leurs propriétaires. Une femme, affalée sur son siège, la bouche largement ouverte, regarde son écran sans sourciller, bâillant de temps à autre, et reniflant régulièrement sans aucune retenue. Ses écouteurs dans les oreilles et son regard planté dans le pavé lumineux de son portable, elle ne voit ni le paysage qui défile, ni n’entend ce qui se passe autour d’elle.
La demoiselle face à moi a enfin fini de se tartiner le visage sans, étonnamment au vu de son attirail, en avoir fait trop. Son maquillage est une réussite, simple, naturel, efficace, contrebalançant parfaitement son look au mélange savamment composé – bottines à écailles bordeaux, jeans large, T-shirt blanc, collier en coquillage bien serré et tresses parfaitement plaquées. Un peu plus loin, un homme, la quarantaine, jambes croisées, tapote sur son ordinateur. Cheveux ni longs ni courts, plus poivre que sel, il discute et grimace. Il est en pleine conversation téléphonique, s’implique et réplique sans que je ne parvienne à entendre un mot. Il se penche alors vers son sac et en sort une tasse rouge contrastant avec son pull gris et son jeans noir. Une agréable odeur de café vient caresser mes narines alors qu’il se délecte de ce nectar tiède et fruité.
La demoiselle aux tresses s’active à nouveau et cherche inlassablement quelque chose dans son sac, ses trousses et sa veste pour finalement extraire de quelque part un paquet de Fischerman’s Friends. Elle y prend un bonbon, qu’elle cale dans sa bouche et qui rapidement, annihile toutes les effluves flottant dans le wagon et encombre l’air de son pensant arôme artificiel.
Romont. Le train s’arrête. Des gens descendent, d’autres embarquent. Le ballet des regards croisés peut recommencer sauf pour ceux dont les yeux sont figés sur les pixels de leurs natels. Prochain arrêt, Fribourg.
— G. K. CHESTERTON
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