CARNET DE VOYAGE
Régulièrement, je me pose dans un train, observe, écoute et écris ce que je vois et j’entends. Peut-être serez-vous un jour dans l’un de mes récits ? Avec eux, je souhaite vous emmener ou plutôt nous ramener à l’époque où les téléphones portables n’accaparaient pas notre esprit, notre temps et nos relations et où rencontrer des gens et partager des instants avec des inconnu.e.s faisait partie du quotidien. Bonne lecture !
Assise dans le train, la tête appuyée contre la fenêtre, je suis à l’affût de gestes et paroles de mes voisin.e.s. À ma droite, deux dames, la septantaine si ce n’est plus, téléphone portable en main, cherchent des randonnées à faire le lendemain. « Regarde, on peut aller au Mont-Pèlerin, c’est pas trop loin, 3 heures de marche, on part vers midi, je veux faire mon ménage le matin ». L’autre ne dit rien, acquiesce sans un mot, dire quelque chose ne servirait à rien, elle fera de toute manière son ménage le matin. « Ça te va comme ça ? » finit tout de même par demander la première. Elles tombent d’accord, fixent l’heure, prévoient un pique-nique, chacune amène quelque chose. Tout roule. Le train aussi. Il fend les paysages fribourgeois recouverts d’un hiver timide et peu froid.
Derrière elles, un homme barbu travaille, ordinateur calé sur les genoux, trottinette sous ses pieds. Assidu. Concentré. Malgré les discussions des deux dames qui s’organisent randonnées et sorties pour les semaines à venir, son regard reste absorbé par son écran. Rien ne l’interpelle, ne le distrait. « Au fait, t’as la recette de la compote de pruneaux ? Maman l’adore ». Les deux dames sont sœurs. « Tu veux que je te passe la recette ? » Elles ne cessent de parler, de jacasser, de batoiller tandis que le reste du wagon reste silencieux, insensible, impassible. L’homme s’étire. Longuement. Il a soudain l’air las, fatigué.
« AAHHH le contrôleur ! Sors ton abonnement ! » dit une soeur à l’autre avec enthousiasme. Je sors mon téléphone et ouvre mon application de transport tout en observant ces deux femmes avec tendresse. Elles sont un véritable bol d’air dans cette ambiance lourde de début de journée et de fin de semaine. Quel bonheur de les voir s’entendre aussi bien, faire mille et un plans tout en parlant de leur Mère. Même si elles ont l’air très différentes, elles ont l’air tellement bien ensemble. Soudain, elles se marrent, hilares, en regardant leur téléphone. « Regarde ces gifs ! C’est Lucas qui me les a envoyés ! » .Je kiffe. On dirait mes deux ados.
Prochain arrêt Fribourg. Les dames se taisent, l’homme s’habille, ferme sa veste, prend son sac, sa trottinette et s’en va. La sœur aux cheveux longs plonge dans son écran tandis que sa frangine se fait une raison : elle prend aussi le sien histoire de s’occuper les mains.
Le train repart et d’autres gens viennent se poser sur les places libérées. Les deux femmes restées elles bien assises lèvent les yeux de leurs smartphones et reprennent leurs babillages avec bonheur. « On arrive à Lucerne à quelle heure déjà ? »
Dommage, je descends à Berne.
— elisha cooper
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